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Les bullshit jobs sont essentiels

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La lecture de « Connemara », le dernier roman de Nicolas Mathieu, s’avère aussi indispensable que celle de son précédent livre (« Leurs enfants après eux ». A découvrir de toute urgence si ce n’est déjà fait). La peinture de notre époque est à nouveau d’une minutieuse précision. Attardons-nous sur le personnage d’Hélène. Consultante dans une société de conseil, Hélène est confrontée à l’apparente vacuité de son métier. Jeune femme brillante et ambitieuse, Hélène a fait de belles études dans une école de commerce. Son job consiste à accompagner des collectivités locales dans la refonte de leurs systèmes d’information et de leur organisation, missions qui connaissent le plus souvent un succès mitigé. Au regard des journées et des nuits passées à produire de vrais concentrés d’intelligence, Hélène fait le constat de sa très modeste efficacité. Ses conseils sont au mieux rangés dans un tiroir, au pire utilisés pour régler on ne sait quel conflit entre services. Bref, Hélène perd progressivement le sens de son travail et n’en comprend plus l’utilité. La voilà saisie par le sentiment d’exercer ce qu’on appelle un bullshit job.

Ceci nous a donné envie de nous arrêter quelques instants sur cette notion. L’évolution de notre société vers une économie de service est une réalité. Le secteur tertiaire représente désormais 75% de la population active. Face à cette réalité, nous avons vu émerger à l’occasion de la crise sanitaire le concept d’« emplois essentiels » (au nombre desquels les cavistes, ce qui montre au passage le caractère très relatif de ce statut). Croiser ces deux données, c’est cerner une partie du problème. N’ayant pas la chance de pratiquer un métier dont l’utilité est immédiatement identifiable, il est assez logique que des gens comme Hélène se sentent comme le hamster dans sa roue. Beaucoup d’énergie, peu d’avancées. Pourtant, nous soutenons ici – certes avec un peu d’audace – que ces bullshit jobs sont de ceux qui font tenir une société. Les supprimer, ce serait comme couper l’aération dans un espace réduit : on étouffe vite.

Il faut de tout pour qu’un ensemble fonctionne. A quoi sert une roue s’il n’y a pas un hamster pour la faire tourner ? Ne nous trompons pas : la quête de sens est hautement respectable et compréhensible. Notre étroite collaboration avec le média Les Déviations consacré aux changements de vie nous le rappelle chaque jour. Notre métier de conseil en stratégie d’influence consiste notamment à faire émerger le sens lorsqu’on l’a perdu de vue. Car tout le monde a un rôle à jouer. Dans cette hiérarchie de l’utilité qu’on tente de construire, les artistes, les intellectuels ou les chercheurs seraient vite menacés parce qu’immédiatement improductifs.

La question n’est pas de savoir ce qui est essentiel ou ne l’est pas mais quelle est l’œuvre qu’ensemble nous construisons. Le jeune styliste un tantinet « déconnecté des réalités » qui conçoit une paire de chaussures à Paris est aussi nécessaire que l’ouvrier qui la fabriquera, on l’espère, dans la Drôme. Inventer un monde différent, et si possible meilleur, requiert toutes les compétences, y compris celles qui semblent les plus superficielles, pour ne pas dire superflues.

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